mardi 28 février 2012

les ORPAILLEURS de la MORT




Après les lumières et les étoiles, ce sont les flammes et le feu qui sont  au rendez-vous et se rejoignent pour une unique destination...

Nous sommes déjà sur une autre planète, c'est une vision d'enfer qui règne ici et nous surprend au détour d'une ruelle  encombrée d'un embouteillage monstre...

 

Il faut d'abord se faufiler entre vélos et motos, vaches sacrées ou zébus, chiens pelés ou chats affamés, jeunes en quête de touristes ou femmes au crâne fraîchement rasé, vieillards errants ou pèlerins perdus dans leurs pensées, famille en deuil ou  boutiquiers débordés...


 


A Bénarès, la mort est familière, simple, légère. Chacun vaque à ses occupations journalières sans se préoccuper de ces défilés incessants, de ce brouhaha infernal...
En permanence, jour et nuit, une vasque, du style de celle des jeux olympiques, délivre depuis des "millénaires" la flamme sacrée. C'est à cette flamme que l'on allume le bouquet d' herbes sèches pour allumer le bûcher.





 Une cérémonie se déroule au milieu du talus, autour d'un bûcher où visiblement une vieille femme est à peine ensevelie sous les énormes bûches installées en quinconce.
 C'est le fils aîné qui est chargé d'enflammer le corps.
Seul instant où l'émotion est palpable, mais qui ne dure que quelques secondes...
 Les femmes n'ont pas accès au rituel, leurs pleurs empêcheraient l'âme du défunt de monter au ciel...
 Et c'est le drame, lorsque le fils aîné ne finit pas ses cinq ou sept  tours, soit parce que sa torche de paille s'est enflammée trop vite et qu' il n'a pas eu le temps de la glisser sous la tête du mort, dans l'emplacement réservé à cet effet, soit parce qu'au cours de sa course, il se brûle les pieds sur les cendres du bûcher voisin, soit tout simplement car il n'a plus la force de courir...
Alors, la famille s'en va, sans un regard en arrière, et ce sont les travailleurs de la mort qui prennent la relève, travail ingrat s'il en est,  mais certains ont encore un peu de compassion et quand un bûcher de pauvre brûle mal, il prend du bois sur le bûcher d'un plus riche, en douce... 




Les spécialistes  du lieu entretiennent les bûchers de crémation pour les adeptes du "nirvana" : mourir à Varanasi, se faire incinérer au bord du Gange, savoir que ses cendres retourneront dans le fleuve-mère est le voeu le plus cher de tout hindou et le but ultime de leur vie...

Le Gange est considéré comme sacré par les hindous : l'immersion dans le Gange lave le croyant de ses péchés et la dispersion de ses cendres dans le fleuve peut apporter la libération, la moksha.




" Dans l'hindouisme et le jaïnisme, le moksha ou mokṣa (devanāgarī : मोक्ष) est un terme sanskrit qui se rapporte à la libération finale de l'âme individuelle ou "jiva" du cycle des renaissances, le samsara. La moksha est en quelque sorte l'équivalent hindou du nirvana bouddhique.
La croyance quant à la manière dont la moksha peut être atteinte diffère d'une tradition à l'autre. 
De façon générale, trois voies ou marga (sanskrit:« chemin ») sont identifiées :
  • karma mārga ou « voie de l'action » : cette voie est explicitée par les Veda et les enseignements des brahmanes. Elle suppose que l'on se plie aux obligations que la vie - autrement dit sa caste - impose, les actions et les pensées dans cette vie déterminant sa future incarnation.
  • jñāna mārga ou « voie de la connaissance » : cette voie implique méditation et pratique ascétique pour comprendre la réalité et rejeter l'illusion, la Maya. C'est celle par exemple de l'Advaita Vedanta et du Raja Yoga.
  • bhakti mārga ou « voie de la dévotion » : considérée comme plus facile que la jñāna mārga, cette voie est plus populaire. Elle implique l'identification du dévot avec une divinité particulière, habituellement Rama ou Krishna. Le premier grand texte de la bhakti est la Bhagavad Gita où Krishna affirme : « Seulement avec amour, vous pouvez venir à moi »."
source Wikipedia

Des vieillards sont amenés à Bénarès pour y finir leurs jours, malheureusement certains guérissent et sont donc frappés d’ostracisme. Ne pouvant plus retourner dans leur famille ou leur  village, ils demeurent là, sur place et deviennent à leur tour des orpailleurs de la mort..





Nous avons eu "la chance" d'être accompagnées et initiées par un soi-disant "gérant" du lieu, puis lors de nos autres visites, par de jeunes hommes attendant quelques dizaines de roupies. Grands connaisseurs des moeurs locales et en échange de leurs explications, leurs propositions n'étaient pas équivoques...
Car là aussi, dans ce monde en réduction, règnent la corruption, les pots de vin, les arnaques, les passe-droit, les faux policiers en civil qui font peur aux "touristes" qui tenteraient de prendre des photos et vont même jusqu'à les menacer de prison...Cette aventure est arrivée à mon amie et nous avons dû payer cher pour sa "libération"...
L'argent, encore et toujours, règne ici en maître et tous les moyens sont bons pour en obtenir. 

le marché du bois
La misère et la mort...On nous fait visiter d'immenses immeubles délabrés, visiblement inhabités afin de nous soutirer de l'argent pour les "pauvres vieillards", mourant ou pas, ou pour acheter du bois ou du riz. Seul un  vieil homme, aussi crasseux que les linges qui l'entourent, est allongé sur des gravats, pauvre représentant des vieux en attente de paradis. Quelle arnaque à touristes! On nous "arrache" quelques roupies qui ne serviront jamais pour acheter le bois des pauvres mais iront directement dans les poches des escrocs locaux...
D'en haut, la vue est surprenante, étonnante,magique.





La fumée des bûchers arrive jusqu'à nous, mélange d'encens et de bois précieux...
Le rituel se répète à l'infini. Tout converge par ici et se termine ici.
Arrivés au bord du Gange, les corps sont lavés, plongés une dernière fois dans le fleuve puis installés sur le bûcher, enveloppés d’un sari de couleur (rouge pour les femmes, blanc pour les hommes, jaune doré pour les vieillards sans distinction de sexe) et décorés, ornés de guirlandes de fleurs multicolores, de tissus flamboyants et chatoyants, selon la richesse de la famille.



 Je suis tout d'abord fascinée par cette ambiance sereine qui règne. Pas de cris, pas de pleurs, pas de tristesse, pas de discours.
Les gens aux alentours, dans leurs habits de tous les jours, sont calmes et silencieux, chacun occupé à sa tâche...On prend vite  conscience de la banalité de la mort, s'il en était besoin...
Et la vie continue...




         Certains ont perdus la raison









                          
                           D'autres sont usées



                            d'autres prient...

                               
                               ou vont prier



tandis que d'autres attendent...

 est devenu une denrée r

                               ...se marient


                      

                          ou vivent à même le sol...







Des pirogues apportent le bois qui est déchargé et stocké sur les berges. Puis il est pesé et vendu à la famille. 





Ensuite, des hommes dont c'est le travail,  dans un défilé incessant,  portant les bûches sur les différents espaces, montent et descendent au pas de course, la côte qui mène aux bûchers. Ce sont eux qui construisent les bûchers. Ce sont eux aussi qui positionnent les corps, remettent le bois, ramassent les cendres et après avoir été tamisées, tel le sable des orpailleurs,  vont remettre au Gange les restes non calcinés.

Ces hommes, les "doms", sont très mal considérés, inférieurs à tous, mais tout le monde a besoin d'eux pour que l'ultime rituel soit accompli. 
Eux m'ont émue...


Nous circulons entre les bûchers, personne n'a l'air de nous remarquer, nous ne faisons pas partie de ce monde-là. Mais nous nous savons observées, épiées, surveillées par les espions du lieu, les espions du feu...
Sur cette butte enflammée jour et nuit, le bûcher le plus haut est réservé aux riches, emplacement grillagé et bétonné...Ici, même dans la mort, l'égalité n'a pas cours...
Tout en bas,  au bord du Gange sont les bûchers réservés aux pauvres....
Une vache nonchalante traverse l'espace, d'où vient-elle, où va-t-elle?
On n'ose la chasser, elle est sacrée, elle aussi...et pourtant elle vient manger les fleurs de la "maman" défunte, et le fils au crâne fraîchement rasé n'ose la faire partir... Ce sera un des travailleurs qui s'en chargera...




Des bagarres de chiens éclatent pour quelques os à moitié calcinés..Seuls leurs hurlements traversent et troublent l'espace. 
J'ai trempé mon pied dans cette eau sacrée  et au moment où j'écris cet article, dix mois après, l'eau ramenée dans une petite bouteille est toujours aussi pure, claire, sans odeurs et sans algues...

 


Et depuis une barque, au milieu du Gange, j'ai joint mes "pujas" à toutes celles des autres pèlerins en déposant de petites bougies flottantes pour tous "mes morts"...




 
 

Ô Mère Gangâ ! co-épouse de la fille d'Himâlaya,
collier de perles dans la parure de la Terre,
hampe de l'étendard qui nous conduit au Ciel,
Ô Bhâgîrathî, je t'invoque !
Puisse mon corps périr après avoir vécu sur ta rive,
quand j'aurai bu ton onde pure,
que tes flots m'auront bercé,
que j'aurai posé sur toi mes regards et rappelé ton nom sur mes lèvres !
Valmiki (Ier s.)






  
 à ma maman:

"" Dites-vous bien que de toutes les tendresses la vôtre est la plus précieuse et que l'on revient dans vos bras aux minutes lourdes. Et que l'on a besoin de vous, comme un petit enfant, souvent. Et que vous êtes un grand réservoir de paix et que votre image rassure..."

St Exupéry








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