lundi 15 novembre 2010

CONTE de Julos Beaucarne


LE VOYAGEUR du NON-TEMPS

Un homme veut partir pour le non-temps ou le oui-éternité, assez de courir après le temps, de gagner du temps, de perdre son temps. Mais il n'y a pas d'agence de voyage pour le non-temps. L'homme interroge les savants, les illuminés, les désillusionnés, les visionnaires: "Où est la porte du temps?" Personne ne sait : le temps est cette étendue de sable, ce désert; le candidat voyageur du non-temps prend dans ses mains du sable et le fait couler entre ses doigts sans pouvoir en saisir la totalité; dans sa main des milliards de grains coulent et dérivent et s'envolent au vent. Le saisisseur de temps peut-il prendre le temps par surprise, arrêter la muette horloge de l'univers hors Univers.

Parti à la recherche de la porte du temps il la trouve une après-midi par hasard au milieu d'un champ. Quoi de plus normal pour une porte? Il la reconnaît parce qu'il est écrit dessus: "Porte du temps" tout simplement. A n'en pas croire ses yeux. Il frappe; le temps lui ouvre ou plutôt entrebâille la porte. Mais, le temps, contrairement à ce que l'on croit, n'est pas tout seul, ils sont 3: le temps Digital qui parle d'une façon saccadée parce qu'il a l'habitude d'épépiller les secondes, les minutes et les heures; à côté de lui son père: le temps Cadran qui a une manie: il répète à chaque demie heure: "Big ben big ben, big ben big ben". A côté du temps Cadran se trouve le temps Solaire, son père, qui est très vieux, qui a une barbe de quelques kilomètres de long et qui lui, ne dit rien car il en sait trop.
Le temps dit à l'homme: "Si tu veux rentrer dans le non-temps ou le oui-éternité et l'éternité c'est long surtout vers la fin, il te faudra nous donner la montre digitale "Citizen" que tu as au poignet et la montre cadran que tu as dans ton gilet. L'homme donne ses 2 montres et la porte du temps, jusque là entrebaillée s'ouvre toute grande. L'homme hésite puis il s'enfonce dans le non-temps; il entend autour de lui des voix qui disent: "Il est mort, il est mort"; seuls des enfants le voient se relever et partir et marcher dans un long couloir on ne peut pas dire combien de temps car il n'y a plus de temps et l'explorateur du non-temps chavire de l'autre côté de la durée; il voit tout au bord du chemin des phrases comme: "le temps me dure", "je n'ai pas le temps, j'ai tout mon temps", des phrases qui agonisent exsangues avant de devenir lettres mortes. Alors un sentiment de plénitude envahit le voyageur, il sait que même la notion de voyageur n'existe plus puisque l'immense moteur est arrêté et que l'arrêt est complet et infiniment peu facultatif. Il n'a plus le choix de rester dans la durée ou de s'en abstraire. Il a fait mouvement pour déboucher dans le non-mouvement; il a marché pour être transformé en statue, pour n'être qu'une photographie que les familiers et la durée montrent en disant:


" Vous vous souvenez il cherchait la porte du temps"